Les RER métropolitains réussiront-ils à faire aimer le train ?
Lien vers l’article de Séverine Cattiaux paru le 23/01/2024
Droits photo : © Aurelien KEMPF (PIKSL) www.piksl.fr
Et si on pouvait se déplacer aisément en train pour se rendre à ses rendez-vous du quotidien partout sur son bassin de vie, à tout moment de la journée et de la semaine. Un rêve de déplacement décarboné qui pourrait devenir réalité.
Dix Réseaux express régionaux (RER) métropolitains devraient circuler d’ici dix ans. Du moins, si l’on en croit la loi promulguée fin décembre 2023 visant à développer les «services express régionaux métropolitains ».
Dix RER dans la loi, vingt-cinq candidats
En réalité, comme pour presque tout dans notre modèle ferroviaire en souffrance, les conditions sont complexes à réunir : un consensus sur le projet, une gouvernance, de l’expertise, et beaucoup d’argent. La nouvelle loi semble avoir levé un certain nombre de freins. Parmi les dix métropoles où ils sont envisagés, il y a Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Strasbourg… des agglomérations urbaines fortement congestionnées où ils permettront d’accompagner le déploiement de la zone à faibles émissions (ZFE) visant à améliorer la qualité de l’air.
« Les élus du Béarn et de Bigorre veulent leur RER pyrénéen, Limoges est dans les starting-blocs pour déployer un projet de tram-train »
« On a tenu à inscrire ce chiffre de dix, pour être sûr d’atteindre l’objectif, mais c’est un minimum » commente le député Renaissance Jean-Marc Zulesi, rapporteur de la loi. Car elles sont nombreuses, les collectivités qui voudraient renforcer leur ossature ferroviaire pour décarboner leurs déplacements. Vingt-cinq territoires ont ainsi affiché leur détermination à déployer un RER, indique l’association Objectif RER métropolitains. La côte basque réclame son RER basco-landais, « les élus du Béarn et de Bigorre veulent leur RER pyrénéen, Limoges est dans les starting-blocs pour déployer un projet de tram-train.»
Des RER et beaucoup d’intermodalité
La loi prévoit le déploiement de «Services Express Régionaux Métropolitains» (SERM), englobant des lignes de RER performantes interconnectées, via les gares, à tous les autres modes de déplacements sobres, type bus à haut niveau de service, cars, transports fluviaux, vélo, autopartage, et covoiturage. « Dans les territoires, on ne travaille pas assez la complémentarité des transport », tance Jean-Marc Zulesi. Le ministère des Transports sera sensible à cette multimodalité pour apposer son «label qualité» dans le cadre du dépôt des dossiers, annonce le député. Sans cette intermodalité, il n’y a pas d’alternative qui tienne la route face à la voiture, abonde Jean-Claude Degand porte-parole de l’association. «Les solutions ferroviaires sont rapides pour pénétrer dans le centre-ville et emmener des volumes importants de passagers, les autres modes moins rapides ont l’avantage d’aller partout, en cela ils sont complémentaires».
« Il devrait y avoir, j’espère, des moyens supplémentaires en lien avec les collectivités territoriales »
Comptera aussi dans l’obtention du label, la mise en place d’une billetique unique et la question de l’accessibilité aux transports, poursuit le député Renaissance. Et une fois ce label en poche ? « Il devrait y avoir, j’espère, des moyens supplémentaires en lien avec les collectivités territoriales », déclare prudemment le député.
Des améliorations rapides possibles partout
Pour le porte-parole d’Objectif RER métropolitains, on peut rapidement améliorer les services ferroviaires dans les bassins de vie et « donner un signal fort aux voyageurs ». Selon l’analyse de son association, à peu près tous les territoires pourraient, dans les dix-huit prochains mois « répliquer en heures creuses les services d’heure de pointe et faire une première intégration tarifaire ». Jean-Marc Zulesi se montre tout aussi optimiste : un premier groupe de Serm devrait avancer rapidement. « La vérité, c’est que beaucoup de projets ressembleront au Serm de Strasbourg, où l’on a augmenté le cadencement, mis en circulation plus de trains, renforcé l’infrastructure », dit-il. Mais gare aux projets trop précipités… Le Réseau express métropolitain européen (Reme) de Strasbourg génère beaucoup de déceptions. « Près d’un an après le lancement du Reme, le service est toujours dégradé. En moyenne, 10 % des trains sont supprimés et leur régularité reste insuffisante », disait déjà France 3 région Grand-Est en décembre 2023.
Le Réseau express métropolitain européen (Reme) de Strasbourg génère beaucoup de déception
Et des chantiers lourds sont indispensables. Les acteurs des Hauts-de-France annoncent ainsi un «big bang» ferroviaire pour le Serm de Lille, avec le renforcement des voies, la construction d’une ligne ex-nihilo entre Lille et l’ancien bassin minier, une nouvelle gare traversante. Mais qui pilotera tous ces travaux à Lille et ailleurs, et tiendra les délais ?
Un dispositif a été mis en place par la loi : elle transforme la Société du Grand Paris (SGP donc, en Société des grands projets) et stipule que cette dernière et ses filiales peuvent être désignées maître d’ouvrage des infrastructures nécessaires à la mise en œuvre des RER. On devra attendre les décrets d’application pour connaître les modalités pratiques de cette intervention, mais le rapporteur de la loi précise que la SGP interviendra « à la demande des collectivités territoriales et du préfet ».
Des financements en suspens
Si un outil est prévu, il reste à trouver les financements. La loi ne garantit pas grand-chose, puisqu’aucun engagement financier n’y figure. Elle ouvre tout au plus des possibilités par la SGP. Cette dernière a développé un certain savoir-faire pour aller chercher des ressources financières signale Jean-Marc Zulesi. En Île-de-France, elle possédait aussi une capacité d’endettement, on compte «visiblement sur ces “compétences” pour boucler les tours de tables dans les territoires. D’ici à ce que, comme elle l’a fait pour le Grand Paris express, la SGP prévoit de rembourser ses emprunts en créant un nouvel impôt ponctionné directement sur le territoire.
« La question épineuse du financement fera l’objet d’une « conférence de financement » d’ici fin juin 2024 »
Reste à déterminer le type de prélèvement mis en place, qui pourra varier d’une Serm à l’autre. À Grenoble, la perspective satisfait Christophe Ferrari, président de la métropole, qui trouve que : « les choses avancent positivement parce qu’on essaye de trouver d’autres modèles économiques, au-delà du financement des contrats de plan État-région (CPER) qui prendraient plusieurs décennies ». Mais à l’entendre, le législateur a raté l’occasion d’instaurer « un versement transport permanent modulable selon les projets ». Signe qu’on est loin du compte, la question épineuse du financement des investissements nécessaire, mais aussi de l’exploitation a été remise à une « conférence de financement » qu’on annonce devoir se tenir d’ici fin juin 2024.
Chef de file régional… ou pas
Enfin, pour construire les bons projets et les mener à terme, les acteurs sont bien entendu invités à s’organiser. « C’est un grand travail collectif, un consensus à bâtir, sur lequel il faut mobiliser tous les acteurs. Ça veut dire qu’il y ait eu un grand débat préalable, transparent pour le citoyen, pour donner l’élan politique à ces projets nécessaires ». Faut-il un chef de file ? Pas forcément, répond Jean-Marc Zulesi. « On peut penser que les régions sont les leaders naturels, mais rien dans la loi n’interdit qu’une autorité organisatrice prenne le lead, en lien avec la région».